La surcharge mentale des hommes : un silence qui pèse lourd
- joannahaouzi
- il y a 2 jours
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On parle de charge mentale et l’image est presque toujours la même : une femme, les bras pleins de listes invisibles, oscillant entre performance professionnelle et charge domestique.
Et cette image est juste. Mais elle n’est pas entière.
Dans les interstices du discours dominant, une autre fatigue se tait. Celle des hommes.
Une charge mentale différente, masquée, parfois méconnue, souvent minimisée — surtout par ceux qui la portent.
Ce n’est pas qu’ils ne ressentent rien. C’est qu’on leur a appris à ne pas le dire, à porter sans plier, à gérer sans montrer, à endosser sans demander.
Et cette posture, valorisée pendant des décennies, a un prix.
L’homme moderne face à lui-même
Nous traversons une époque étrange. Jamais on n’a autant parlé de bien-être, de vulnérabilité, d’écoute, d’équilibre… Et pourtant, les hommes sont toujours surreprésentés dans les suicides, et sous-représentés dans les espaces d’écoute.
Selon l’INSERM (2023), 3 suicides sur 4 concernent des hommes. Pourtant, ils sont bien moins nombreux à consulter, à verbaliser, à admettre leur fatigue psychique.
Dans un monde professionnel qui exige toujours plus — d’adaptabilité, d’initiative, de maîtrise — les hommes restent piégés dans une injonction silencieuse : celle de ne pas flancher.
Ce que les chiffres ne disent qu’à demi-mot
Une étude menée par Deloitte Global en 2022 révèle que près de 6 hommes sur 10 en poste à responsabilité se disent en état de stress chronique, mais moins de 15 % se sentent légitimes à l’exprimer.
Plus récemment, le Boston Consulting Group (2023) montrait que 60 % des hommes estiment ne pas avoir d’espace sûr au travail pour parler de ce qu’ils ressentent. Et cela ne fait pas d’eux des collaborateurs froids, ou déconnectés.Cela fait d’eux des collaborateurs engagés jusqu’à l’épuisement, dans un rôle qu’ils ne savent plus interroger.
Une affaire de cerveau, aussi
Le cerveau humain, quel que soit le genre, réagit de la même façon à la surcharge cognitive :
La zone du cortex préfrontal — siège de la prise de décision, de l’attention et de la régulation émotionnelle — se sature sous l’effet des pensées inachevées, non partagées, réprimées.
L’amygdale, centre de la peur et du stress, s’active plus longtemps en l’absence d’expression émotionnelle, augmentant l’irritabilité, l’impulsivité, la difficulté à prendre du recul.
Et lorsque les émotions ne trouvent pas de mots, elles deviennent des maux :
Fatigue diffuse.
Perte de sens.
Retrait progressif.
Ou parfois, colère.
Et si on osait une autre posture ?
Non, les hommes ne sont pas nécessairement à plaindre. Mais ils sont à écouter différemment.
Leur surcharge mentale est souvent moins visible, mais pas moins pesante. Elle prend la forme d’un agenda plein jusqu’à l’asphyxie, de décisions assumées en solitaire, de nuits courtes et de silences longs.
Et quand ils craquent, c’est souvent trop tard, trop brutal, trop silencieusement.
Des solutions, mais pas des injonctions
Il ne s’agit pas d’imposer une parole émotionnelle uniforme mais de créer des contextes où chacun, homme ou femme, puisse dire ce qu’il traverse sans devoir renoncer à sa place.
Cela suppose de :
former les managers à la reconnaissance des signaux faibles — pas ceux qui crient, mais ceux qui s’esquivent ;
valoriser des espaces d’écoute accessibles, sans labellisation, sans connotation de fragilité ;
proposer des formes d’accompagnement individualisées, comme le coaching situationnel, qui permet de parler à chaud, de façon confidentielle, sans attendre que le malaise devienne insoutenable.
Ce n’est pas un luxe. C’est une mesure de prévention responsable.
En conclusion
Les hommes ne portent pas moins. Ils portent autrement. Et souvent, en silence.
Reconnaître cela, ce n’est pas effacer les luttes existantes. C’est élargir notre regard. Et surtout, c’est faire de l’entreprise un lieu où le poids peut se déposer, quel que soit celui qui le porte. Parce que le vrai enjeu n’est pas de diviser les charges, mais de réapprendre à les partager.
Sources :
INSERM – Suicides en France (2023) https://www.inserm.fr/dossier/suicide-en-france/
Deloitte Global – The Future of Men at Work (2022) https://www2.deloitte.com/us/en/insights/focus/human-capital-trends/2022/future-of-men-at-work.html
Boston Consulting Group – New Expectations of Masculinity at Work (2023) https://www.bcg.com/publications/2023/men-mental-health-new-masculinity-workplace
Nature Neuroscience – The burden of unspoken thoughts (2021) https://www.nature.com/articles/s41593-021-00897-6
Fondation Pierre Deniker – Observatoire de la charge mentale (2022) https://www.fondationpierredeniker.org/
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